Un an après la prise du pouvoir par les Talibans, répression et abus touchent particulièrement le droit des femmes…
© UNICEF/Mohammad Haya Burhan
Une fille afghane pose le visage caché à l'intérieur d'une maison de Kaboul, la capitale de l'Afghanistan.
Un an de régime taliban en Afghanistan a entraîné une détérioration de la vie des femmes et des filles, affectant tous les aspects de leurs droits fondamentaux, ont rapporté ce lundi trois agences onusiennes.
Et elles ne sont que quelques dizaines à "manifester" courageusement contre les interdits, au risque des répréssions les plus violentes...
« Cette année a été marquée par un manque croissant de respect pour leur droit à vivre librement et sur un pied d'égalité, les privant de moyens de subsistance, d'accès aux soins de santé et à l'éducation, et de la possibilité d'échapper à des situations de violence », a déclaré Sima Bahous, Directrice exécutive d'ONU Femmes.
Des « politiques inégalitaires méticuleusement construites » par les Talibans ont placé l'Afghanistan à l'écart du reste de la communauté internationale, effaçant en quelques mois à peine des décennies de progrès en matière d'égalité des sexes et de droits des femmes.
Le pays s’inflige un acte d’« automutilation »
L'Afghanistan est le seul pays au monde où les filles n'ont pas le droit d'aller au lycée et où elles ne peuvent pas participer à la vie politique.
Le gouvernement des Talibans est exclusivement masculin et il n'existe pas de ministère de la Condition féminine.
Les femmes afghanes n'ont plus le droit de travailler en dehors de leur foyer, doivent se couvrir le visage en public et être accompagnées d'un chaperon masculin lorsqu'elles voyagent.
En outre, elles continuent d'être soumises à de multiples formes de violences sexistes.
Cette série délibérée de mesures discriminatoires à l'encontre des femmes et des filles afghanes constitue également un terrible acte d'automutilation pour un pays confronté à d'immenses défis, qu'il s'agisse des catastrophes naturelles et climatiques, ou de l'exposition aux soubresauts de l'économie mondiale, qui laissent quelque 25 millions d'Afghans dans une situation de pauvreté et beaucoup dans la faim.
L'Afghanistan reste en proie à une profonde crise économique et humanitaire, comme l'a souligné la Directrice du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Dr Natalia Kanem.
Des vies en danger
La flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants, aggravée par la sécheresse et la guerre en Ukraine, signifie qu'environ 95% de la population afghane, dont presque tous les ménages sont dirigés par des femmes, ne mangent pas à leur faim.
Mme Kanem a déclaré que le fait d'exclure les filles de l'école secondaire non seulement violait leur droit à l'éducation et les empêchait de réaliser pleinement leur potentiel, mais les exposait aussi à des risques accrus de mariage précoce, de grossesse précoce, de violences et d'abus.
« L'effondrement du système de santé a compromis l'accès des femmes et des filles aux services de santé reproductive, notamment aux soins de santé maternelle, en particulier pour les plus de 9 millions de personnes vivant dans les régions reculées du pays. Pour les quelque 24.000 femmes accouchant chaque mois dans des zones difficiles d'accès, l'accouchement peut, de fait, être considéré comme une condamnation à mort », a-t-elle ajouté.
MANUA/Shamsuddin Hamedi
Ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus de la crise humanitaire sévissant actuellement en Afghanistan.
Coûts économiques
L'Afghanistan connaissait déjà de grandes difficultés en matière d'éducation avant la prise du pouvoir par les Talibans en août dernier, 4 millions d'enfants n'étant pas scolarisés à cette époque, dont 60% de filles.
Selon une nouvelle analyse du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), empêcher les filles de fréquenter l'école secondaire a également un coût monétaire. Elle montre que le pays a perdu 2,5% de son produit intérieur brut (PIB) annuel en l’espace d’un an en raison de cette décision.
Selon l'UNICEF, l'économie afghane gagnerait au moins 5,4 milliards de dollars si les 3 millions de filles afghanes concernées achevaient leurs études secondaires et rejoignaient la population active.
Les femmes, la paix et le développement
Les Nations Unies ont souligné à plusieurs reprises leur engagement à poursuivre leur action en Afghanistan et à défendre la cause des femmes et des filles dans ce pays.
Mme Bahous, la responsable d'ONU Femmes, a souligné combien l'exclusion des femmes de tous les aspects de la vie privait la population de la moitié de ses talents et de ses énergies.
Elle a exhorté les autorités de facto à ouvrir des écoles pour toutes les filles, à supprimer les contraintes pesant sur l'emploi des femmes et leur participation à la vie politique, ainsi qu’à révoquer toutes les décisions et politiques privant les femmes de leurs droits.
Intensifier les opérations
L'UNFPA a renforcé sa présence dans tout l'Afghanistan et travaille avec des partenaires nationaux pour intensifier la fourniture de services de santé sexuelle et reproductive - pour les femmes, par les femmes - y compris dans les zones reculées.
L'agence est venue en aide à plus de 4,3 millions d’Afghanes au cours de l'année écoulée et a distribué des médicaments et des fournitures essentielles aux hôpitaux, ainsi que des produits d'hygiène menstruelle à d'innombrables femmes et filles.
Mme Kanem a ajouté qu'à l'approche de l'hiver, alors que les besoins augmentent, l'UNFPA fournit déjà des ustensiles de cuisine et des couvertures à des personnes désespérées, et se tient prêt à faire davantage.
« Alors que le monde est confronté à de multiples crises se superposant les unes aux autres, nous ne devons pas oublier les femmes et les filles d'Afghanistan. Lorsque les droits fondamentaux des femmes et des filles sont bafoués, nous sommes tous concernés », a-t-elle déclaré.
« Il ne saurait y avoir de paix durable, de redressement ou de stabilité pour l'Afghanistan si les droits fondamentaux des femmes et des filles à l'éducation, à la participation à la vie publique et à l'accès aux services vitaux pour leur santé, leur dignité et leur bien-être, ne sont pas respectés et protégés », a martelé la cheffe de l’UNFPA.
L'interdiction de l’enseignement secondaire aux filles!...
© UNICEF/Azizzullah Karimi
Des filles dans un centre d'apprentissage du village de Gulab Khail dans la province de Maidan Wardak, en Afghanistan.
Priver les Afghanes de leur droit à l’éducation secondaire a un effet dévastateur sur l’économie du pays, a alerté lundi le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), qui estime les pertes pour le pays à au moins 500 millions de dollars depuis la prise de pouvoir par les Talibans il y a un an.
La décision du 23 mars de ne pas autoriser les filles à retourner à l’école secondaire est choquante…, elle viole le droit fondamental des filles à l’éducation…, elle les expose à une anxiété accrue, et à un plus grand risque d’exploitation et d’abus, y compris la traite des enfants, le mariage précoce et forcé…
Difficile de regagner le PIB perdu sans respecter le droit à l’éducation des filles
L’analyse indique que l’Afghanistan ne pourra pas regagner le PIB perdu pendant la transition et atteindre son potentiel réel de productivité si l’accès des filles à l’enseignement secondaire n’est pas respecté.
La non-scolarisation des enfants, garçons comme filles, a un coût élevé. Mais celle des filles est particulièrement coûteuse en raison de la relation entre leur niveau d’éducation et leur destin futur.
Plus leur niveau d’éducation est élevé, plus les filles retardent leur mariage et leur maternité, plus elles participent à la vie active et font des choix personnels concernant leur avenir, selon l’UNICEF.
L’éducation des enfants, « fondement de la croissance future de l’Afghanistan »
A noter que les estimations de l’UNICEF ne tiennent pas compte des impacts non financiers du refus aux filles d’accéder à l’éducation, tels que les pénuries à venir d’enseignantes, de médecins et d’infirmières, la diminution de la fréquentation de l’école primaire par les filles, ainsi que l’augmentation des coûts de santé liés aux grossesses des adolescentes.
Les estimations ne tiennent pas compte non plus d’avantages plus larges liés à l’éducation, notamment le niveau d’instruction général, la réduction des mariages d’enfants et la diminution de la mortalité infantile.
Non seulement l’éducation est un droit pour chaque enfant, mais elle est le fondement même de la croissance future de l’Afghanistan.
Les conséquences dépassent l'impact économique
Outre le fait que les filles ne puissent pas retourner à l’école secondaire, la malnutrition des enfants augmente également.
En juin 2022, 57.000 enfants ont été traités pour malnutrition aiguë sévère en Afghanistan, soit une hausse de 90 % par rapport à la même période l’an passé, précise l’UNICEF.
En juin 2021, 30.000 enfants ont été traités pour malnutrition aiguë sévère dans le pays.
Désormais, les enfants sont obligés de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille au lieu d’aller à l’école.
Plus largement, l’UNICEF estime que Kaboul se trouve à un moment charnière pour une génération entière d’enfants dont la vie est entachée de privations
Un rapport de l’ONU confirme la répression et les nombreux abus des Talibans
© PAM/Julian Frank
Des femmes dans un marché dans la province de Balkh en Afghanistan
Un rapport de l’ONU confirme bon nombre des préoccupations relayées depuis août dernier, date à laquelle les Talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, et qui montrent une « érosion » des droits dans ce pays.
La Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) recense les graves violations des droits de l’homme commises par les autorités de facto, notamment les exécutions sommaires, les mauvais traitements et les disparitions forcées d’anciens membres des forces de sécurité nationales afghanes.
Le document décrit également comment « les arrestations et les détentions arbitraires de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de manifestants ont eu un effet dissuasif sur la liberté des médias et l’activisme civique ».
Ce rapport peint une situation des droits de l’homme au cours des dix mois (15 août 2021 - 15 juin 2022) ayant suivi la prise de pouvoir par les Talibans.
Il relate la série de décrets des talibans sur les droits des femmes et des filles qui ont donné lieu à « de graves restrictions de leurs droits fondamentaux, entraînant leur exclusion de la plupart des aspects de la vie quotidienne et publique ».
Voir en complément Article L'OBS du 04/08/2022
Le retour de la « police de la promotion de la vertu et prévention du vice »
L’ONU détaille ainsi les exécutions extrajudiciaires de personnes accusées d’affiliation à des groupes armés, ainsi que les châtiments et les exécutions extrajudiciaires de personnes accusées de crimes « moraux », mais aussi l’usage excessif de la force.
Au total, le rapport fait état de 160 exécutions extrajudiciaires, 178 arrestations et détentions arbitraires, 23 cas de détention au secret et 56 cas de torture infligés à d’anciens membres des forces afghanes et du gouvernement par les Talibans.
Ces mêmes abus ont été infligés par des individus accusés d’être affiliées à Daech ou au « Front de résistance nationale ».
Le rapport met en évidence des préoccupations spécifiques concernant deux organes au sein des autorités de facto - le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice (Amr bil Maruf) et la Direction générale des renseignements de facto (Istikhbarat).
Au moins 217 cas de châtiments cruels, inhumains et dégradants infligés par les autorités de facto depuis le 15 août 2021.
L’érosion des droits des femmes
Malgré une réduction globale et significative de la violence armée, entre la mi-août 2021 et la mi-juin 2022, la MANUA a enregistré 2.106 victimes civiles (700 tués, 1.406 blessés).
La majorité des victimes civiles ont été attribuées à des attaques ciblées menées par le groupe armé auto-identifié « État islamique de la Province de Khorasan » contre des communautés ethniques et religieuses minoritaires.
Plus largement, si les autorités de facto ont pris certaines mesures comme l’amnistie accordée aux anciens responsables gouvernementaux et membres des forces de sécurité, l’érosion des droits des femmes est l’un des aspects les plus notables depuis plus d’un an.
En dépit de l’amélioration de la situation sécuritaire depuis le 15 août, la population afghane, en particulier les femmes et les filles, est privée de la pleine jouissance de ses droits fondamentaux.
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